Biff in French

BIFF ET SON REMORQUEUR

Traducteur: Jean Pierre Buono

Une histoire pour ma petite fille Eleanor

Quand j’étais petit, mon père m’a raconté l’histoire d’un ours appelé Biff, qui était capitaine d’un remorqueur dans le canal Érié.  Il sortait à toute vapeur de long en large entre les grandes files de navires et de chalands, chaque fois qu’il entendait le coup de sirène à vapeur des bateaux qui avaient besoin d’un remorqueur.  Quand Biff ne poussait ni ne tirait des navires ou des chalands, il sortait sur le pont, humait le parfum d’herbe qui provenait des champs et commençait à astiquer la cloche de cuivre qui se trouvait à l’extérieur de sa timonerie.  Aucun autre capitaine n’avait une cloche aussi polie et brillante. C’était parce que Biff était le seul capitaine à être un ours.  Les autres étaient des humains.  Et,  parce qu’ils n’avaient pas de fourrure, ils ne pouvaient pas obtenir un aussi beau lustre sur leurs cloches.  Ils s’épuisaient à frotter leurs cloches avec un chiffon.  Quant à lui, Biff frottait simplement avec la partie de son corps qui se trouvait le plus près de la cloche, en passant.  À l’occasion,  il la frottait un petit peu avec la tête, ou bien avec son coude et, de temps en temps, quand il se sentait vraiment content, avec son derrière, au passage.

Parfois, les capitaines de remorqueur sortaient au delà des écluses sur le lac Érié, qui pouvait devenir très houleux en temps de tempête.  Alors que d’autres capitaines avaient beaucoup de peine à se tenir debout et s’activer pendant ce temps de chien, Biff tombait simplement sur ces quatre pattes et poursuivait son travail. Il fixait des câbles au grand cabestan au milieu du pont arrière.  Il les décrochait, une fois le remorquage terminé.  Il pouvait faire tout ça pendant les orages parce qu’il avait quatre pattes.  Ce genre de climat le stimulait, le faisait se sentir vivant, si bien que pendant ces temps dangereux il frottait la cloche de cuivre en passant, avec n’importe quelle partie de son corps.

Pour ces raisons, les capitaines des navires et des chalands lui adressaient des coups de sirène à chaque fois qu’ils avaient besoin d’un remorqueur fiable.  Alors, Biff faisait sonner sa brillante cloche de cuivre en guise de réponse, et s’approchait d’eux à toute vapeur.

Une nuit, une tempête éclata sur le vaste lac noir grand comme un océan.  Un immense cargo de charbon avait des ennuis et commençait à couler.  Ses coups de sirène désespérés étaient portés jusqu’à la rive par le vent de la nuit mais tous les remorqueurs avaient peur de sortir dans les immenses vagues, dans les rafales glaciales de neige fondue.  Tous, sauf Biff, qui passa son ciré jaune, enfourna quelques pelletées de charbon supplémentaires dans la chaudière sous le pont, donna des coups de sirène pour qu’on lui ouvre les écluses et sortit à toute vapeur dans la nuit tempêtueuse.

Il navigua une vingtaine de minutes avant d’apercevoir le cargo, très bas sur l’eau et en danger de couler.  Les hommes lui lancèrent une ligne depuis la proue du cargo charbonnier.  Biff la conduisit vers la poupe de son remorqueur, le SV Granpy, et la tira jusqu’à attraper l’amarre, l’attachant autour du cabestan.  Puis à quatre pattes il traversa jusqu’à la timonerie et actionna la commande et le SV Granpy tira doucement jusqu’à ce que le câble fut tendu, puis il commença à remorquer le cargo charbonnier.  S’il pouvait seulement l’amener jusqu’à la plage, le cargo sur le point de naufrager ne pourrait plus couler, parce que là-bas c’était peu profond.  Mais le cargo était si plein d’eau, qu’il ne pouvait pas suivre une ligne droite et il obliquait à gauche et a droite sans pratiquement jamais rester en ligne.

Biff était triste parce qu’il semblait qu’il ne parviendrait pas à sauver le navire et son équipage.  Le navire coulerait et ses hommes se noieraient probablement.

C’est à ce moment qu’il entendit un coup de sirène derrière lui, tout près.  Il distingua un autre remorqueur dans l’obscurité, s’approchant, chaque fois plus près, à toute vapeur.  Son coeur fit un bond et il actionna sa sirène en signe de bienvenue.  Biff ne pouvait pas voir l’autre capitaine remorqueur dans sa cabine obscure.  Mais il savait que ce capitaine était bien courageux de sortir dans les flots hauts comme des montagnes, avec seulement deux jambes humaines pour se tenir debout.

Les marins du cargo sur le point de sombrer lancèrent une autre ligne au nouveau remorqueur.  Biff vit le capitaine du deuxième remorqueur – une vague silhouette jaune dans son ciré luisant – sortir de sa cabine, attraper la ligne, attirer l’amarre à lui, lui faire décrire une boucle sur le cabestan et la fixer avec une demi-clé. Il y avait maintenant deux remorqueurs qui tiraient le cargo en détresse;  aussi le navire blessé commenca à avancer tout droit car, chaque fois qu’il tentait de virer à droite ou à gauche, l’autre remorqueur le tirait vers lui et c’est ainsi qu’il ne pouvait qu’aller droit, bien en ligne.

Quand le cargo charbonnier arriva vers la plage, les remorqueurs détachèrent leurs amarres et se tournèrent vers l’arrière du navire, et profitant de chaque grande vague qui les soulevait, poussèrent le cargo toujours plus haut vers la plage, là où les vagues géantes ne pouvaient plus l’endommager.  L’equipage du cargo charbonnier, se voyant sauvé, lança vers les deux capitaines une grande clameur de remerciement.  Biff et l’autre capitaine, répondirent à leur salut par une grande série de coups de sirène.  Alors, tous les deux, le remorqueur de Biff et l’autre bateau s’éloignèrent des dangereux brisants, atteignirent des eaux plus profondes et naviguèrent vers les écluses, dans un tel roulis – car les vagues les frappaient de côté -qu’ils étaient eux-mêmes en danger de se renverser et de couler.

Le vieil homme qui commandait les écluses se tenait dehors, dans son ciré jaune, guettant les remorqueurs. Et quand ils arrivèrent, il actionna un levier et la machine à vapeur qui commandait les écluses siffla et gronda et les grandes portes d’acier furent grandes ouvertes, et les deux remorqueurs franchirent les portes d’acier sombre, les portes se fermèrent derrière eux et les deux remorqueurs terminèrent leur dérive dans les eaux calmes et protectrices du début du canal Érié.

Biff sortit de sa timonerie.  Il voulait remercier l’autre capitaine de son courage. Alors celui-ci sortit à son tour de sa cabine.  Il était plus petit que Biff et quand il enleva la capuche de son ciré jaune, Biff vit que ce n’était pas un humain, mais un ours comme lui; de fait, la plus jolie des oursonnes qu’il ait jamais vue.

Il eut envie de faire sonner sa brillante cloche de cuivre avec son derrière, c’est dire son émotion, mais il se contrôla afin de faire bonne impression. Il pensa qu’elle était merveilleuse et elle l’était.  La plus courageuse, la plus magnifique et la plus mignonne oursonne qu’il ait jamais vue.  «Voulez-vous une tasse de thé?» demanda-t-elle à travers l’espace qui séparait les deux remorqueurs. Tandis que le vent continuait de hurler sur le lac et qu’un peu de ce vent grondait à travers les cimes des arbres le long du canal, Biff avança et amarra le SV Granpy sur une bouée de mouillage. Puis il attacha l’autre remorqueur au sien et il vit comment les deux bateaux commencèrent à se balancer dans le vent jusqu’à ce que la ligne de mouillage fut tendue et que les deux remorqueurs se stabilisent, leur deux proues face au vent.

«L’eau pour le thé est prête», annonça l’autre capitaine.  Alors Biff sauta par dessus les bastingages de leurs deux navires, comme font les ours, et ensemble, à quatre pattes tous les deux, ils traversèrent le pont jusqu’à la cambuse, où ils burent leur thé chaud avec des gâteaux, et firent les présentations. Ils s’admiraient déjà beaucoup l’un l’autre pour leur courage.  Et c’est ainsi que naquit une amitié profonde et durable.  Et un mois plus tard, eut lieu un mariage entre deux vaillants ours capitaines de remorqueur, un certain Biff Bennett, que tu connais déjà, et l’autre, la princesse de sa vie, Eleanor, la courageuse capitaine du SS Claypool. 

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